Adlène Hicheur: “j’étais le pigeon providentiel” - OWNI.fr
"...Il a accepté de répondre à Owni, d’évoquer sa détention, sa relation avec les enquêteurs puis les magistrats, mais aussi les curiosités de cette affaire, notamment l’identité de son mystérieux correspondant, un certain Phoenix Shadow. Les services antiterroristes en sont persuadés : derrière se cacherait un cadre d’Al Qaida au Maghreb (Aqmi), Moustapha Debchi, mais la preuve de cette équation n’a jamais été apportée.
Condamné le 5 mai à cinq ans de prison, dont un an avec sursis, il est sorti à la faveur de remise de peine. Sans attendre, il a repris contact avec ses anciens collègues, pour éviter “de sombrer dans la dépression”. Ultime bataille, il tente de faire rectifier sa page Wikipedia : “Une vie ne peut pas se résumer à un fait divers”.
Quelle a été votre réaction à l’annonce du jugement ?
Aucune surprise. J’avais vu le déroulement de l’instruction, j’avais vu qu’on avait fait de moi une victime expiatoire d’une certaine politique. C’est le paradigme du bouc-émissaire : on prend une personne qu’on charge du point de vue symbolique et on l’immole rituellement devant la société. Je ne me faisais aucune illusion, je voulais seulement être jugé rapidement pour que la détention provisoire cesse, pour ma famille, pour moi.
Le système a tenu à aller jusqu’au bout parce qu’il fallait envoyer des messages forts à la société. Ce mode de gouvernance est très dangereux. J’appelle ça de l’aliénation sécuritaire. Ça tue le génie créatif, l’épanouissement intellectuel. Mieux vaut agiter des chimères que faire face à ses propres carences. Dans leur tribune les gens de Tarnac l’ont très bien dit : la peur est le sentiment le plus facile à instrumentaliser.
La peur, l’inconnu, l’ignorance : les trois se tiennent. Les apprentis sorciers sont incapables de résoudre des problèmes sur des sujets sérieux comme le chômage, mais ils sont les premiers à agiter la matraque. Mon cas met à nu leur prétention de respecter les gens qui travaillent. Je suis l’exemple typique de taulier au travail, de personne qui se lève tôt. Ma vie est brisée pour des éléments qui n’auraient jamais conduit à une incarcération dans un autre pays. Ça devrait mettre la puce à l’oreille à tout le monde, même des gens qui n’ont pas la même culture politique que moi. On commence par les uns et on va ensuite vers les autres. C’est exactement la logique d’un système totalitaire.
Le tribunal a aussi prononcé la confiscation des saisis d’argent liquide, environ 15.000 euros, et du matériel informatique.
La saisi de l’argent liquide c’est du vol institutionnalisé, la saisi de mon matériel informatique un assassinat intellectuel. J’avais des centaines d’heures de travail dessus ! Des idées, des articles, des cours, des données scientifiques…
Vous étiez poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, pour financement du terroriste et pour avoir diffusé de la propagande, ce que le procureur désignait sous l’expression “jihad médiatique”.
C’est vraiment de la surenchère. Je n’ai pas de site, pas de blog. Je n’ai intégré aucun projet médiatique contrairement à ce qui a été dit. J’ai interagi en tant que user (utilisateur) sur des forums, échangeant des opinions. C’est vraiment de la mauvaise foi de l’accusation ! Qu’est-ce qu’ils appellent jihad médiatique ? C’est un peu vague… Ce qui peut leur poser problème, c’est que des groupes, disons politico-militaires pour rester technique, fassent des reportages sur leurs activités et les publient. L’expression fourre-tout, d’après ce que j’ai compris, permet de toucher toute personne qui aurait accès à un moment ou à un autre à des publications de ces organes médiatiques.
...
Comment se sont passés les interrogatoires pendant votre garde à vue ?
Mal. Le rapport voyous-braves gens était inversé : les voyous c’était
eux ! Parfois, les insultes fusaient. Les policiers utilisaient mon
frère, la santé de ma mère pour faire pression sur moi pendant ma garde à
vue. Ils ressemblent à des psychopathes hystériques tout excités.
Peut-être parce qu’ils sont toute l’année dans un bureau à se croiser
les doigts… Dès qu’ils peuvent avoir un os à ronger, toutes les
frustrations de leur quotidien – pas terrible d’ailleurs – se déchargent
sur vous.
Les gens de Tarnac l’ont bien compris. Ils sont passés par la
machine. Ils ont souffert de la même chose que moi : l’acharnement
policier. Il en faut peu. Deux ou trois officiers se montent la tête, au
bout d’un moment c’est comme si vous leur apparteniez, et ils
s’acharnent, ils s’acharnent. Et puis, des carrières sont en jeu… Dans
mon affaire, il y a eu au moins une promotion avérée : les grades
changent entre les PV de début et de fin. Utiliser les moyens de l’État
pour faire du mal à quelqu’un est d’une lâcheté sans nom.
Sous quelle forme avez-vous ressenti ce “déchargement” ?
Le ton, l’excitation. En garde à vue, on m’a dit : “vous allez perdre votre boulot, vous ne serez plus physicien, vous ne serez plus au Cern”.
C’est d’un cynisme total ! Les gars sont assurés de leurs pleins
pouvoirs. Il y avait un plaisir à me faire perdre un certain statut
social, l’un des chenapans l’a exprimé ouvertement. Ça tranche avec le
comportement des deux enquêteurs suisses qui sont venus m’interroger en
septembre 2010. C’était des gens très posés, très carrés. Ils ont fait
leur boulot sans tout ce cinéma....
...
Je suis passé en comparution médiatique immédiate. Le circuit passe par la police, le ministère de l’intérieur et la Présidence, puis redescend dans les médias qu’ils connaissent et choisissent. Mes parents sont venus à mon premier parloir, ils m’ont raconté verbalement. J’étais coupé du monde jusque-là.
Quand j’ai réalisé, j’étais dépressif. J’ai compris que s’ils avaient fait ce bruit-là, rien ne les arrêterait. J’ai réalisé l’ampleur de l’entourloupe : j’étais le pigeon providentiel.
La médiatisation d’une personne privée qui ne l’a pas choisie est d’une grande violence psychologique. L’instrumentalisation des médias est très puissante, même un “ange qui marche sur terre” se ferait détruire. Je suis frappé du sceau des parias, pour que je ne puisse pas me refaire, pour que je sois précaire le restant de mes jours. On verra, je ne suis pas prêt à baisser les bras, je veux me refaire, tant bien que mal.
Ils ont été obligés de créer un profil artificiel pour justifier toute la mascarade. Il n’appartient pas à un groupe ? Il vit tout seul ? Ce sera le loup solitaire par exemple. La rhétorique ancienne ne pouvait pas fonctionner.
Cette partie a été zappée dans les médias. La personne réelle disparaît au profil d’un clone, d’un hologramme, habillé de toutes les caractéristiques pour vendre la justice à l’opinion publique. Il y avait une feuille blanche, immaculée, avec un bon cursus scolaire et universitaire. C’était un défi de construire une intrigue à partir de mon vécu ! Personne dans mon entourage familial, professionnel, de mon voisinage ne voulait me “salir”. Alors ils sont allés chercher des internautes avec qui j’avais interagi il y a x années.
..."
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Je suis passé en comparution médiatique immédiate. Le circuit passe par la police, le ministère de l’intérieur et la Présidence, puis redescend dans les médias qu’ils connaissent et choisissent. Mes parents sont venus à mon premier parloir, ils m’ont raconté verbalement. J’étais coupé du monde jusque-là.
Quand j’ai réalisé, j’étais dépressif. J’ai compris que s’ils avaient fait ce bruit-là, rien ne les arrêterait. J’ai réalisé l’ampleur de l’entourloupe : j’étais le pigeon providentiel.
La médiatisation d’une personne privée qui ne l’a pas choisie est d’une grande violence psychologique. L’instrumentalisation des médias est très puissante, même un “ange qui marche sur terre” se ferait détruire. Je suis frappé du sceau des parias, pour que je ne puisse pas me refaire, pour que je sois précaire le restant de mes jours. On verra, je ne suis pas prêt à baisser les bras, je veux me refaire, tant bien que mal.
Vous avez été présenté comme la figure du loup solitaire par certains responsables de la lutte antiterroriste.
Dans le passé, ils avaient au minimum des bandes de copains à qui on
pouvait reprocher, ou pas – je ne sais pas – une certaine forme de
prosélytisme. Il y avait des points d’ancrage pour donner l’illusion.
Pas dans mon cas. Il y a un gars qui a étudié toute sa jeunesse, qui
travaille, qui vit dans un environnement rural. Jamais j’aurais pensé
qu’on arriverait à de tels extrêmes à partir de rien. C’est une dérive
dans la dérive.Ils ont été obligés de créer un profil artificiel pour justifier toute la mascarade. Il n’appartient pas à un groupe ? Il vit tout seul ? Ce sera le loup solitaire par exemple. La rhétorique ancienne ne pouvait pas fonctionner.
En s’appuyant sur votre utilisation d’Internet ?
Oui, mais le plus grave c’est l’idée qui se dégage de l’expression
loup solitaire. On imagine quelqu’un qui vit reclus. C’est faux. Je
travaillais dans le cadre de collaboration internationale, j’avais
affaire à des centaines de personnes quasi-quotidiennement au Cern.
Plusieurs milliers de physiciens de nationalités différentes travaillent
ensemble. Aucun outil de sociabilité n’est aussi fort ! Il faut
s’adapter à toutes les cultures, à tous les tempéraments, à toutes les
personnalités.Cette partie a été zappée dans les médias. La personne réelle disparaît au profil d’un clone, d’un hologramme, habillé de toutes les caractéristiques pour vendre la justice à l’opinion publique. Il y avait une feuille blanche, immaculée, avec un bon cursus scolaire et universitaire. C’était un défi de construire une intrigue à partir de mon vécu ! Personne dans mon entourage familial, professionnel, de mon voisinage ne voulait me “salir”. Alors ils sont allés chercher des internautes avec qui j’avais interagi il y a x années.
Pourquoi acceptez-vous de parler aujourd’hui ?
Je ne parle pas à tout le monde. Je considère que ça peut être
productif ou positif, mais à dose homéopathique. S’il fallait tout dire,
on pourrait noircir des pages......."
Libellés : Adlène Hicheur, Comité invisible, Liberté, Libertés numériques, Nicolas Sarkozy
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